Le « songe d’Henri… A » est le récit homodiégétique d’un homme, face à ses multiples identités, se parlant à lui-même, comme on le ferait dans un rêve ou dans le cadre d’une analyse, où se bousculent différents jeux de miroirs, de trompe-l’œil, de fausses-pistes selon un procédé de narrations emboîtées qui s’opposent entre-elles et que l’auteur met en œuvre dans le but, à la fois de créer une forme de trouble chez le lecteur semblable à celle que peut ressentir le personnage principal et afin de maintenir le suspens, jusqu’à une fin qui s’avérera surprenante.

Au cours du déroulement de l’ouvrage plusieurs parties se dessinent, sans que le récit ne soit pour autant interrompu par des chapitres qui viendraient créer des ruptures néfastes au bon développement du rêve ; chacune d’elle contribuant à montrer le processus de migration identitaire à l’œuvre chez le personnage passant d’un « dialogue » avec lui-même à un duo sous-jacent avec une tierce personne, supposée être sa mère biologique, puis terminant sa course dans une identification morbide avec un père « idéalisé » au cours de laquelle le personnage principal désigne lui-même son « autre-moi », féminin cette fois et secourable pour lui même, qui revient, comme un leitmotiv, d’un bout à l’autre du récit.

Dans ce troisième mouvement, le personnage se confond jusqu’à la nausée avec son père, dont il endosse le costume trop grand pour lui, sur un fond d’affaires de corruption et de ventes d’armes, lequel par sa présence crépusculaire, insidieuse et destructrice conduira le héros à renoncer à sa propre identité et à faire sienne la part la plus sombre de son père, celle d’un homme diminué allant, à la fin de sa vie, vers une transsexualité non assumée.

Dans le quatrième et dernier mouvement, une fois le rêve « révélé », on retourne à une forme de réalité accomplie, on passe dans un monde objectif et on répond à la question qui hante le livre du début à la fin et qui revient sans cesse sous la forme d’une question récurrente que pose la mère au héros : « Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ?».

Le narrateur décrit alors, de façon cursive, la vie sans intérêt d’un personnage en proie à ses multiples identités , vivant dans le déni de sa propre existence, passant, inlassablement, son temps à classer des papiers qui racontent une vie rêvée (celle de son père) dont le lecteur apprendra, seulement à la fin, la vacuité et la déchéance programmée. On comprend que la vie du personnage a été marquée par son exil du monde de ses semblables et par un destin implacable qui l’a submergé et que cet homme au fond n’aura eu d’autres solutions que de fuir le monde réel et de se réfugier dans un univers parallèle où il vivra, à la fois, avec ses propres contradictions (se prenant lui-même pour son propre héros, en s’opposant notamment à la tyrannie des médecins) mais également avec son lot de désillusions sur la nature humaine.